Justine Mérieau – Ecrivain

Bienvenue sur mon blog, créé pour faire connaître davantage mes livres à un lectorat plus vaste, celui de la toile

Journal d’un ancien globe-trotter – Suite 3

Classé dans : Littérature et poésie — 20 août 2007 @ 1 : 10

Saint Denis, le 6 janvier 2005

Je suis anéanti… dégoûté… écoeuré… Trahi, surtout ! Jamais je n’aurais pensé que Clémence m’aurait joué ce sale tour ! Je tombe des nues… Ce soir en rentrant, j’ai de nouveau tenté de l’avoir au téléphone. Sans succès, comme d’habitude… Aucun message de sa part sur ma boîte vocale, malgré tous ceux que je lui ai laissés…

Alors, très en colère, j’ai composé le numéro personnel de sa mère… Qui me répondit elle-même aussitôt. Au ton de sa voix, je me rendis compte immédiatement qu’elle semblait très mal à l’aise… Elle savait quelque chose, bien sûr… Embarrassée, elle m’annonça en cherchant ses mots, elle qui parlait plutôt avec une grande spontanéité, très naturellement, que sa fille était sortie et qu’elle ne savait pas quand elle rentrerait. Je lui posai plusieurs questions concernant Clémence, notamment sur son emploi du temps, et lui demandai par la même occasion si elle savait pourquoi sa fille s’obstinait à ne plus vouloir me donner de ses nouvelles. Autant de questions qui semblèrent la gêner horriblement. Au fur et à mesure, sa gêne ressortait davantage… Il était évident que tout ça n’augurait rien de bon pour moi, et même si je me doutais depuis longtemps de quelque chose, je commençais à envisager le pire, bien que me forçant à en repousser l’idée de toutes mes forces.

Pendant qu’on se parlait, j’entendis tout à coup des bruits de voix chez mon interlocutrice. Je lui en fis part … « Bon… écoutez… reprit-elle, personnellement, je trouve cette situation idiote, et je l’ai dit à ma fille… Elle doit vous parler… Je trouve ça inconscient de sa part, de pratiquer la politique de l’autruche… Elle vous doit la vérité, même si c’est difficile à dire et à entendre… ». Là, j’avoue que j’ai tremblé intérieurement, et je savais d’ores et déjà que j’allais souffrir… La mère de Clémence continua : « C’est justement elle qui vient d’arriver… Ne quittez pas, je vais vous la passer… ». Anxieux, j’attendis plusieurs minutes, mais la voix qui se fit entendre n’était pas celle de Clémence : « Bon… désolée… J’ai insisté, mais ma fille ne désire pas vous parler. Je suis furieuse ! Pour moi, elle manque tout bonnement de courage, et ce qu’elle vous fait subir est lâche… Vous savez combien j’ai d’estime pour vous… Que je vous aime beaucoup… Tout ceci m’ennuie terriblement… Seulement, je ne peux malheureusement rien y faire, ça ne me regarde pas… Clémence m’a chargée de vous informer qu’elle vous adresserait un SMS dans la soirée… Je ne sais quoi vous dire de plus, sinon que vous êtes un mec bien et que les femmes sont parfois idiotes ! Je vous fais la bise et vous souhaite bonne chance pour tout. Allez, au revoir, Alexandre ! Et n’hésitez pas à me rendre visite, si un jour vous décidez de revenir en France… Ce sera avec le plus grand plaisir, et la porte vous sera toujours ouverte ». Puis elle raccrocha.

J’en demeurai pantois… C’est vrai que dès que la mère de Clémence, – une divorcée jolie et pimpante de la cinquantaine – avait fait ma connaissance en venant passer un mois de vacances à La Réunion il y a deux ans, elle avait tout de suite semblé m’apprécier particulièrement. Et ce n’était pas que pour mes qualités d’esprit… Le reste semblait lui plaire encore davantage, ça sautait aux yeux !… D’ailleurs, Clémence l’avait assez taquinée là-dessus, pendant que moi, je bichais comme un petit coq, tout content d’être flatté par mère et fille ! Si j’avais su ce qui me pendait au bout du nez quelques années plus tard, j’aurais été moins fier… Et pour en revenir à Clémence, j’étais sidéré. La douche froide… Je n’aurais jamais cru ça d’elle, je la croyais plus franche. Parce qu’en plus, elle ne voulait pas me parler, même si j’appelais chez elle !

Terriblement angoissé, j’attendis donc son message, les yeux rivés sur mon téléphone mobile… Une bonne heure passa… Vers les vingt-deux heures, l’appareil s’agita, sa sonnerie m’indiquant que le SMS attendu venait d’arriver. Inquiet, j’appuyais sur la touche adéquate… Etonné, je vis apparaître le texte suivant, on ne peut plus laconique : « Je t’ai envoyé un message d’explications sur Internet ». Désorienté, déçu, et encore davantage apeuré, je me suis précipité sur l’ordinateur… Elle savait que j’y allais rarement, elle avait préféré m’avertir… A part bon nombre de spams et publicités diverses, dans la boîte de réception de ma messagerie se trouvait bien, et uniquement, le message de Clémence… Le cœur battant, j’ai donc ouvert celui-ci…

Stupeur et indignation furent mes premiers ressentis. En gros, ce qu’il en ressortait, c’est que j’étais devenu le cocu magnifique !… Sans jamais me douter de rien, en plus, ce qui accentuait la sourde colère qui couvait en moi, atténuant ma peine profonde. Clémence m’expliquait sans grand ménagement, qu’elle avait rencontré quelqu’un sur son lieu de travail, que cela avait été le coup de foudre réciproque. Qu’elle n’aurait jamais pensé qu’une telle chose lui serait arrivée (merci pour moi !) parce que, ce qu’elle avait vécu avec moi, avait toujours été super (merci quand même !). Que le nouvel élu terminait sa période de quatre ans à La Réunion, et qu’elle avait donc décidé de donner sa démission au boulot pour pouvoir rentrer en métropole avec lui. Elle ajoutait qu’elle n’avait jamais réussi à s’intégrer totalement dans son emploi, où elle avait subi de nombreux problèmes que je n’ignorais d’ailleurs pas, et que l’occasion lui était offerte, en quelque sorte, de donner sa démission. Qu’elle s’était bien plu sur l’île, mais qu’elle n’y entrevoyait rien de positif pour elle sur le plan professionnel. Qu’on passe finalement plus de temps au boulot qu’à la maison, et que ne se sentant pas bien au travail, mal dans sa peau, inconsciemment ou non elle avait eu besoin d’y trouver réconfort. Ce qui s’était produit tout à fait fortuitement, avec quelqu’un dans le même cas qu’elle… Qu’ils s’étaient découverts tous les deux de nombreuses affinités, notamment par rapport à leur âge similaire (nous y voilà ! J’ai dix-huit ans de plus que Clémence…). Et pour terminer, elle se disait désolée qu’il en soit ainsi et me demandait de lui pardonner, espérant que je comprendrais. Venaient ensuite tout un tas d’éloges sur ma personne pour vanter mes nombreux mérites, qui, selon Clémence, devraient me faire rapidement retrouver l’âme sœur… Merci du peu ! Amen, la messe était dite… Ite missa est !

En pleine confusion, j’avais refermé le clavier de l’ordinateur. Glacé, le cœur en déroute, l’âme en détresse, empli cependant d’une colère interne qui me broyait les tripes… En fait, j’étais surtout malheureux comme les pierres, malgré mon désir de crâner ! Au salon, où je tentais de me réconforter en avalant coup sur coup trois où quatre whiskies, j’essayais de déblayer mes pensées confuses… Voilà ce que c’est, que de se laisser séduire par les petites jeunes filles ! Tôt ou tard, on doit peut-être s’attendre à ce qu’elles vous larguent pour des garçons de leur âge… J’en suis la triste preuve… Quand je l’ai connue, elle avait vingt-deux ans, elle en a maintenant bientôt vingt-sept. Et moi quarante-cinq… En conclusion, je n’ai plus que mes yeux pour pleurer ! Pour employer ce lieu commun… Mais pleurer n’était pas trop mon truc… Même si j’avais très mal… Et Dieu sait que dans ma vie, j’ai eu très mal plus d’une fois ! Comme beaucoup finalement… Il doit d’ailleurs être impossible de passer une vie sans souffrir à un moment ou un autre. Souffrance morale, à défaut de l’autre qui en frappe hélas aussi certains… Je tâchais de me consoler comme je pouvais… La méthode Coué, qui en vaut bien une autre ! Je ne devais pas me laisser aller, je devais réagir…

Oui, je dois réagir ! Mais que faire à présent ? Ma vie à La Réunion tournait autour de Clémence… Rester ici sans elle ne m’intéresse plus. D’ailleurs, cinq ans sur l’île, c’est suffisant… J’en ai fait le tour, j’ai vu tout ce qu’il y avait à voir plusieurs fois. Tous les endroits présentant le plus d’intérêt, tous les sites les plus grandioses… J’ai un album photos rempli de clichés de Cilaos, du Piton des Neiges, du volcan de la Fournaise, du Grand Bénaré, de la Plaine des sables, de Salazie et Hell-Bourg, des Trois Bassins, de la Plaine des palmistes, de Mafate, de la Plaine des Cafres, de Bassin la Paix… Pour ne parler que des plus connus…. J’ai même pris la peine de noter, parce que je les trouve vraiment sublimes, ces quelques vers de Leconte de Lisle, que l’illustre poète réunionnais écrivit à la gloire du Piton des Neiges :

« Jamais le pic glacé n’entend l’oiseau siffleur,

Ni le vent du matin empli d’odeurs divines

Qui rit dans les palmiers et les fraîches ravines,

Ni parmi le corail des antiques récifs,

Le murmure rêveur et lent des flots pensifs

Ni les vagues échos de la rumeur des hommes,

Il ignore la vie et le peu que nous sommes.

Et calme spectateur de l’éternel réveil,

Drapé de neige rose, il attend le soleil. »

Oui, je vais partir… Donner, moi aussi, ma démission… Reprendre la route. J’ai un copain qui vit en Nouvelle-Calédonie, ça fait longtemps qu’il me propose de venir m’y installer. C’est le moment où jamais ! Puisque cette occasion malheureuse m’en est donnée… Allez, profitons-en pour mieux faire passer l’amère pilule, ce sera toujours ça de gagné ! Il faut bien trouver des solutions pour ne pas se laisser abattre… Et faire apparaître le côté positif sur ce qui nous arrive de catastrophique… Ce soir, pour la dernière fois ici, je vais refermer ce carnet… Qui, avec mes vieux souvenirs de voyage, contient maintenant mon énorme déconvenue. Je l’emporterai bien sûr avec moi… A cause des souvenirs qui y sont consignés, mais également parce qu’il restera à jamais l’unique témoin de mon amour pour Clémence. Un amour bafoué, certes, mais un amour qui a réellement existé entre nous les premières années. Finalement, ce sera comme si j’emportais un peu d’elle avec moi… Seulement, ce carnet, il ne faudra surtout pas que je le relise trop vite… Cela attiserait forcément ma souffrance, et je risquerais de le détruire sur un coup de tête ! Allez, adieu cher cahier, adieu ma vie ici ! Et vive l’aventure nouvelle ! Mieux vaut crâner que pleurer…

Et ainsi s’achevait le mystérieux carnet… Il n’avait à présent plus de secret pour moi. J’étais entrée par hasard, et bien involontairement, dans la vie privée d’autrui. Je me fis soudain l’effet d’une voyeuse, et me sentis d’un coup légèrement mal à l’aise. Pénétrer aussi brutalement dans l’intimité de gens inconnus, surtout lorsque celle-ci dévoile une sorte de drame intime, représente quand même quelque chose d’assez délicat…

A suivre…

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